Dérives masculinistes

Les Furtifs pourrait se contenter d'être un roman racontant une « histoire d’hommes », comme il en existe tant dans la société patriarcale dans laquelle nous vivons. Mais il nous semble que cela va plus loin. Quelles que soient les intentions de l’auteur, le livre, par plusieurs aspects, rejoint nombre de discours habituellement portés par le mouvement masculiniste.

Le masculinisme englobe un ensemble d’individus et de groupes qui œuvrent à la fois pour contrer le féminisme et pour promouvoir le pouvoir des hommes. Il s’exprime à plusieurs voix dans des livres, des sites Internet […] et les réseaux sociaux […]. Des militants et des intellectuels publient des textes dans les médias, déposent des mémoires en commission parlementaire, organisent des colloques et réalisent des documentaires sur la « condition masculine ». Le mouvement compte ainsi des intellectuels en qui il se reconnaît, et surtout des militants qui pratiquent le lobbying auprès des ministères et des politiciens ou mènent des actions directes symboliques ou de perturbation. Les thèses de ce mouvement sont non seulement défendues dans les médias, dans des films grand public, mais aussi de plus en plus dans les départements universitaires de psychologie, de travail social et de sexologie. En bref, cette mouvance constitue ce qu’il est convenu d’appeler un mouvement social, et apparaît en ce sens comme une force politique qui s’oppose au féminisme.
— Mélissa Blais, Francis Dupuis-Déri, Le mouvement masculiniste au Québec, éditions du Remue-ménage, 2015.

L’arc narratif principal des Furtifs a éveillé notre vigilance car :

Ce sont les groupes de pères séparés et divorcés qui forment le fer de lance du militantisme masculiniste, […] ces pères se mobilisent […] pour réaffirmer leur contrôle sur leur ex-conjointe (à travers la garde des enfants) et pour se défendre d’avoir exercé de la violence à leur encontre.
— ibid.

On peut retenir dans les aspects du livre qui se rapproche du discours des groupes de pères masculinistes le traitement du personnage de Sahar, dépeinte comme une mauvaise mère empêchant Lorca de tenir son rôle de père, ainsi que les nombreux passages qui banalisent les violences conjugales.

Même si c’est moins évident, on retrouve également dans Les Furtifs un autre aspect fréquent de la pensée masculiniste : le discours de la crise de la masculinité, « cette idée voulant que la masculinité soit en “crise” à cause d’une trop grande féminisation de la société »1. À part pour quelques piques ici et là sur lesquelles nous reviendrons, le mouvement féministe dans son ensemble n’est pas explicitement pris pour cible. Néanmoins, l’idée présente tout au long de l’histoire est bien que Lorca doive retrouver sa virilité afin de regagner sa femme – et donc sa fille – et ainsi recomposer sa famille.

Pourtant, Lorca, en tant que père attentif et aimant, incarne une dynamique que beaucoup de féministes appellent de leurs vœux. Cet aspect du personnage peut cependant contribuer à alimenter un mythe sur lequel aiment également s’appuyer les masculinistes : celui des nouveaux pères.


  1. Entretien avec Mélissa Blais réalisé par le mensuel Alternative libertaire, mai 2013. ↩︎